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Un orphelinat pas comme les autres

Cela fait longtemps que mon monde a sombré dans la folie. Il y a maintenant 20 ans que la guerre dure et qu’à chaque jour, des populations entières sont détruites. Avant la guerre, mon père était soldat. Il s’est désengagé pour prendre soin de moi avant que cela ne soit plus possible. C’est grâce à ses talents de combattant et de pisteur que nous avons survécu toutes ces années.

Maintenant, mon père n’est plus de ce monde. Ce matin, il est parti comme tous les jours à la recherche de nourriture. Comme il était déjà 17 heures et que mon père n’était toujours pas revenu, j’ai commencé à m’inquiéter. Même un enfant de 5 ans sait que c’est dangereux de se promener après le coucher du Soleil. En été, je n’en aurais pas fait un cas, mais comme nous sommes en hiver, le Soleil disparaît beaucoup plus tôt.

Et puis, c’est là que j’entends son nom à la radio. Tous les jours, la radio annonce le nom des morts de la journée. Je pousse un cri effroyable. Le genre de cri que quelqu’un qui est en train de se faire torturer ferait sortir de sa bouche. Mon voisin, M. Lohan accourt en sachant déjà ce qui vient de se passer. Mon père est mort. Il me prend dans ses bras et me dit qu’il va s’occuper de moi.

Le lendemain, il m’emmène à l’orphelinat de la région. Je suis tellement en colère contre lui que je lui sauterais à la gorge si l’entrée du bâtiment n’était pas gardée par des soldats du gouvernement. Quand quelqu’un dit qu’il va s’occuper de toi, ce n’est pas pour l’emmener à l’orphelinat dès le jour suivant! Il me fait avancer jusqu’à la réception pour que l’orphelinat me prenne en charge et m’enregistre dans ses dossiers. J’aurais dû me douter que j’allais atterrir dans cet endroit, M. Lohan n’a jamais voulu d’enfant. La réceptionniste à l’accueil nous voit et nous fait signe de venir au comptoir.

-Bonjour, dit-elle à M. Lohan , quelle est la raison de votre présence?

-Cette jeune fille a perdu son père hier, lui répond-t-il, pourriez vous la prendre en charge?

-Bien sûr, tous les enfants sont les bienvenus ici.

-Elle me regarde et demande:

-Pourrais-tu me dire ton nom s’il te plaît?

-Lilian, je lui répond bêtement.

-Et quel âge as-tu Lilian?

-14 ans.

-Bien, suis-moi, je vais te montrer ta chambre.

Je la suis dans le couloir jusqu’à une grande porte en bois. À l’intérieur, il y a une douzaine de lits et des petites filles qui jouent avec des poupées en plastique. La dame qui m’accompagne m’a montré un petit lit en métal et m’indique un coffre où je pourrai ranger les vêtements qu’on me fournira. Elle me présente à un garçon qui doit avoir mon âge:

-Je te présente Duncan, il va te faire visiter l’établissement et va t’expliquer ton horaire et les règlements. Maintenant, va te changer et mettre l’uniforme et vous pourrez alors commencer la visite.

Elle me donne une pile de vêtements et me montre l’entrée de la salle de bain. Après m’être changée, Duncan m’explique les règles et me dit:

-Viens, on y va si on veut pouvoir manger ce soir.

-Pourquoi on ne pourrait pas manger?

Si on arrive en retard, les gardes ne nous laissent pas entrer dans la cafétéria, c’est pour nous apprendre la ponctualité.

Après la visite, nous partons manger à la cafétéria. Pour la première fois de ma vie, je goûte autre chose que la nourriture rationnée qu’on nous donnait dans mon ancienne ville. C’est délicieux! Je mange tellement vite que j’ai failli m’étouffer avec le poisson qui se trouve dans mon assiette.

Quand nous avons fini de manger, Duncan me raccompagne à ma chambre puis il me souhaite bonne nuit. Il me sourit et part en direction du dortoir des garçons.

Le lendemain matin, une grande dame entre dans le dortoir des filles en criant:

-Bon matin mes chéries!!!

Toutes les filles se réveillent calmement et se préparent pour la journée. Je suis apparemment la seule surprise par ce début de journée un peu trop enjoué pour quelqu’un qui a l’habitude de se réveiller à cause du bruit des bombardements. En tous cas, je sais que je devrai m’habituer à ce genre de matinées.

La dame s’approche de moi avec un grand sourire, pourtant elle ne me demande rien. Évidemment, je trouve cela bizarre mais je ne pose pas de question et je suis mes camarades de chambre jusqu’à la cafétéria. Rendue à la cafétéria, je me rends compte qu’elle nous suit toujours. Heureusement, j’aperçois Duncan assis seul à une table et je le rejoins.

-Est-ce que tu saurais qui est cette dame qui me regarde avec un sourire de psychopathe? Je lui demande.

-C’est madame Gigi. Ne t’en fais pas, elle regarde tout le monde comme ça, ça n’a rien avoir avec toi, me répond-t-il d’un ton nonchalant.

-Ça me rassure, je n’aime pas me sentir surveillée.

-On est toujours surveillés ici, me dit-il.

Après cette intervention, je commence à trouver cet endroit de plus en plus étrange. Pourquoi serions-nous observés? Nous sommes dans un orphelinat, pas dans une prison. À moins que oui, cette place soit en fait une prison. À force de réfléchir, cela me paraît de plus en plus évident. Pour m’assurer que je ne m’imagine pas de scénario, je vais demander à Duncan si mes hypothèses sont véridiques.

Tout à coup, je me souviens que je devais me rendre immédiatement au terrain de course. Bon, peut-être que je le croiserai là-bas.

Comme je l’ai prédit, Duncan est là. Il me dit:

-Fais attention, tu as failli être en retard.

Soudainement, je me rappelle ce que j’avais à lui demander. Je me rapproche de lui et je lui chuchote:

-Est-ce qu’on est dans une prison?

-Plus ou moins, me déclare-t’il.

-Comment ça « plus ou moins »?

-Je t’expliquerai plus tard, réplique-t-il.

Après le cours de sport, je suis épuisée. Je ne pensais pas que cela allait être aussi difficile. Je prends une douche et je me rends à la cafétéria pour le souper et surtout pour avoir les explications que j’attends depuis le début du cours. Comme à son habitude, le garcon qui me doit des réponses est déjà assis à la même table que lors du repas précédent.

-Alors tu m’expliques? Je lui demande avec un ton presque accusateur.

-Oui, mais fais comme si de rien n’était, je ne veux pas avoir de problème.

-Allez… grouille, il ne nous reste que 20 minutes avant d’aller faire la vaisselle.

-Bon ok. En fait, le gouvernement recrute ses soldats dans les orphelinats. La guerre fait énormément d’orphelins. Quoi de mieux que de former les soldats dès leur plus jeune âge. Comme ça, notre cher pays n’est jamais à court d’effectif pour remplir les rangs de son armée.

-…

-Voilà la cruelle vérité que tu attendais impatiemment.

-Et si on essayait de s’enfuir?

-Tu es complètement folle Lilian, comment tu veux que deux gamins de 14 ans s’enfuient d’un endroit surveillé par l’armée!?

-Je vais trouver une solution. Je ne te force pas à venir, mais moi je ne reste pas ici plus longtemps!

Sur ce, je sors de la cafétéria et je me dirige vers les dortoirs des filles. Je sens que je vais passer une nuit blanche pour dénicher un plan d’évasion. Le lendemain matin, la même dame trop enjouée à mon goût nous réveille en nous faisant un semblant d’opéra. Peu importe, j’ai presque la totalité de mon plan en tête. Il ne me reste plus qu’à déterminer le moment où je vais passer à l’action.

Je retrouve Duncan et je lui explique comment je compte partir de ce centre de formation gouvernementale.

-C’est plutôt simple en réalité, je lui explique, en passant devant la porte arrière, que je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de garde entre 8h45 et 8h50. Je pense que c’est à ce moment que les gardiens se relaient.

-J’avais remarqué aussi, mais le problème c’est plus les caméras de surveillance que les gardes. Le seul moyen de les désactiver c’est en coupant le courant de l’établissement grâce au panneau électrique dont l’emplacement m’est inconnu.

-J’y ai pensé. Le panneau se trouve dans une petite cave entre le placard à balai et le dortoir des filles.

-Bon, puisque tu sembles avoir tout planifié, je veux bien venir avec toi, réplique-t-il le sourire aux lèvres.

-Parfait, on passe à l’action demain matin, à 8h44 le courant doit être coupé et à 8h46 on est déjà loin dans la forêt.

Nous éclatons de rire. Pour une fois qu’on peut déjouer les plans du gouvernement! La journée continue et nous faisons comme si tout était normal. Je pars me coucher et je me dis que c’est la dernière nuit que je vais passer dans cet orphelinat.

Ce matin je me suis réveillée avant même que madame Gigi vienne nous tirer du sommeil. Je m’habille rapidement et je mets les provisions et le canif que j’avais caché la veille sous mon lit dans mon sac. Madame Gigi ne remarque même pas ce que je suis en train de faire. C’est à se demander si les gens du personnel de l’endroit ne sont pas des robots tellement ils sont routiniers.

A 8h40, Duncan est déjà devant le dortoir des filles en prétendant faire le ménage. Je le rejoins et dit à madame Gigi que je peux aider mon complice a nettoyer le couloir. Deux minutes plus tard, nous sommes seuls devant la petite cave où se cache le panneau électrique. Sans attendre, nous débranchons plusieurs fils électriques et nous partons en courant jusqu’à la porte non gardée et nous filons vers la forêt. Derrière nous, je vois des soldats qui comptent des enfants pour savoir si tout le monde est là. Même de loin, je suis capable d’imaginer leur tête quand ils s’aperçoivent que deux adolescents de 14 ans manquent à l’appel.

Nous rions tellement que nous n’entendons pas les gardes qui se dirigent vers nous. Ils nous plaquent illico à terre et nous passent des menottes aux poignets. Avant que j’aie pu réagir, on m’injecte un anesthésiant. Je ne peux plus bouger, je ne sais même pas si Duncan va bien. Il y a quelques secondes, je pensais avoir réussi, mais maintenant je suis prisonnière.

On m’amène dans un autre endroit. Un endroit qui a vraiment l’air d’une prison. Je ne sais pas où est Duncan. En tout cas, il n’est pas avec moi. Je suis attachée à une chaise dans une salle sombre. Devant moi se tient un homme. Il est très grand et il semble vieux. Il me dit:

-Savez-vous où vous êtes, jeune fille?

-Non…

-Cet endroit est une sorte de maison où les meilleurs d’entre vous sont formés pour atteindre des postes plus hauts dans notre hiérarchie sociale.

-Où est Duncan ? Je lui demande d’une voix fébrile.

-Vous êtes ici, continua-t-il en ignorant ma question, puisque vous avez presque réussi à vous échapper. Bref, je pense que vous avez compris. Oh! Et si vous essayez à nouveau de partir, ne comptez pas avoir une deuxième chance.

Trois gardes viennent me détacher et m’escorter jusqu’à une minuscule chambre qui a plus l’air d’une cellule. En regardant autour de moi, je comprends que cela ne sert plus à rien de se révolter. Je ne sais même pas si Duncan est en vie. Je pense que je vais juste rester ici jusqu’à temps qu’on me dise de partir. Je n’ai plus aucune envie de continuer à penser par moi-même. Je vais attendre. Attendre de finir comme un banal soldat qui doit obéir aux ordres de son supérieur. Ça y est, c’est la fin.