En trois images
Depuis quelques semaines, je ne vis que pour dormir. En fait, mes journées se font en trois étapes : manger, prendre une marche, dormir. J’oubliais presque ! Il manque Netflix ! Tout ça en restant dans ma maison (sauf pour la marche, bien entendu). Je n’ai pas besoin de mentionner que tout cela est déprimant ! Encore là, le mot est faible. Je me suis fait enlever mes projets et mon quotidien en seulement quelques heures. Déstabilisant. Et dire que je ne rêvais que de vacances…
La situation m’a quand même permis d’expérimenter l’art du Polaroïd (et bien oui, je suis rendue là ! ) Expérimenter est peut-être un gros mot pour décrire l’échec lamentable que j’ai rencontré durant ma prise de photos. J’ai fait trois clichés avec des fonctions différentes de l’appareil, sans toutefois comprendre comment ça fonctionne. Le résultat est particulier… J’ai passé un long moment à observer ces photographies en me disant qu’elles étaient destinées à retrouver le fond de ma poubelle. Puis, l’idée m’est venue !
« Les trois nuances de mon confinement »
Chaque photo représente un état d’esprit de mon isolement social. Alors, pourquoi ne pas déblatérer sur le sujet ? Vous avez de la chance, voici « Les trois nuances de mon confinement ».
Étape 1: L’excitation
Que dire de l’instant où la direction de l’école a annoncé la fermeture temporaire du Collège… Quoi ? Pas d’examen de science la semaine prochaine ? Il faut vider son casier de tous ses cahiers ? Pas besoin de se lever tôt, chaque matin, pour me rendre à l’école durant les deux prochaines semaines ? J’avais cette hâte dans le ventre. La hâte d’avoir un changement de routine. Pas d’étude, pas d’examen donc pas de stress ? Et bien à ce moment, mon côté innocent n’a pas pensé aux répercussions de la fermeture de l’école. Tout n’était que plaisant. Un congé avant le rush de fin d’année. Je l’ai mérité ! C’était excitant de ne pas savoir ce qui m’attendait la semaine suivante. Ce sentiment de vivre un moment historique que mes petits-enfants apprendront dans leurs cours d’histoire du secondaire…
La lumière de la photo représente un peu la joie naïve de cet instant. Vous voyez l’arc-en-ciel pâle ? C’est comme ça que je voyais la situation. Flou, mais colorée. Ne pas penser plus loin que ma situation actuelle. Erreur ! Pour votre information, je suis tombée de haut la semaine suivante !
Étape 2: L’angoisse
Que va-t’il se passer de mon année scolaire ? Est-ce que je vais attraper ce virus ? Vais-je devoir rester cloîtrée dans ma chambre pendant quatorze jours ? Vais-je faire un tour à l’hôpital ? Vais-je perdre un membre de ma famille ? Vont-ils me perdre ? Ce sont des questions qui m’ont hantée jours et nuits pendants quelques semaines. L’angoisse de ne pas savoir ce qui va advenir de mon été, de mon année scolaire, de ma santé, de mon quotidien et de mon permis de conduire que j’espérais prendre durant l’été. La peur de me retrouver devant le vide et de devoir me séparer des gens que j’aime sans leur avoir dit au revoir. Cette peur de la fin. Puis, la peur de mourir. Elle me vient de là, mon angoisse. Je veux rester en vie. Je ne quitterai pas cette terre avant d’avoir écrit, voyagé, fondé une famille, vécu. Le fait de n’avoir plus rien à faire pour me remplir l’esprit n’aide pas. Plus de but. C’est dur. Ne plus voir personne sauf le premier ministre à la télévision…
Le noir qui remplit la photo, ne laissant que l’ombre d’un objet, était ma vision de la situation. Rien n’est sûr, on ne sait rien. Tout ce que je sais, c’est que je dois me laver les mains, garder deux mètres de distance, rester chez moi et survivre.
Étape 3: L’acceptation
L’acceptation de la situation. J’essaie de rester dans cette phase. Accepter que pour une fois dans ma vie, je n’ai aucun pouvoir, que je ne sais pas et que je suis spectatrice. Je ne peux rien faire pour ça. Je ne sais pas, j’attends. J’essaie d’accepter et de me créer une nouvelle routine. J’aime l’organisation. C’est ce que je fait avec ma vie. J’ai la chance d’être encore en santé et de voir que mes proches vont bien. J’ai la chance de n’avoir perdu personne. J’ai la chance d’avoir de l’école via diverses applications et de continuer à apprendre. De m’occuper. J’ai la chance d’avoir accès à internet pour communiquer avec l’extérieur. J’ai la chance de voir mes parents travailler et rapporter des sous pour payer l’épicerie. J’ai de la chance, aussi, d’avoir une maison où je me sens en sécurité, où je n’ai pas peur d’être et où je me sens chez moi. Alors j’accepte que la vie ne soit pas comme je le souhaite, pour une fois. J’accepte de m’ennuyer pour sauver des vies et la mienne. J’accepte d’arrêter de chialer, parce que je veux vivre !
Cette photo colorée, où il est possible de distinguer les parties de la scène, où la lumière et la noirceur est balancée, représente mon état actuel. Tout ce que je sais, c’est ce qui se passe maintenant. Je verrai pour la suite. Après tout, ça va bien aller !
Et vous, quelles sont les nuances de votre confinement ? Y avez-vous pensé ?
Raphaëlle Mandeville