Par moment, quand je prends une minute, loin de mon addiction, je me demande ce que j’aurais pu devenir si au lieu de m’abrutir, je me serais acharné à travailler pour devenir une personne dont on aurait pu se souvenir. Chaque instant perdu dans ce gouffre sans fin ne me reviendra jamais. Chaque pensée qui aurait pu m’aider à grandir s’est volatilisée. J’ai, sans m’en être rendu compte, cultivé mon imbécilité. Maintenant, bien perplexe devant ma situation, je me sens comme un con. Comme un abruti que l’on a averti du chemin sans répit qu’il s’apprêtait à emprunter. Mais, en toute connaissance de cause, je me suis empêtré dans un sable mouvant qui ne fait que s’empirer. Je n’arrive plus à me retrouver dans mes pensées, pris au piège d’un système bien ficelé qui s’occupe de nous faire perdre la tête, perdre notre temps d’attention, perdre nos vraies sensations, perdre nos vraies relations sociales et, par-dessus tout, nous faire perdre notre temps et notre capacité à penser par nous-même. Ce même système qui, sans le vouloir, nous pousse des émotions artificielles, de la dopamine à foison et des idées qui ne sont pas forcément les nôtres. Ce même système qui nous utilise, nous, pour faire de l’argent. Oui, si vous ne l’aviez pas remarqué, c’est nous qui sommes les produits de ces plateformes. Ils ne font pas d’argent par le fait qu’on achète leur produit, c’est gratuit de toute manière, ils font de l’argent, car ils nous vendent aux publicitaires. Ils vendent le fait que les publicitaires auront une visibilité garantie, une visibilité que nous leur offrons comme de bons moutons qui ne se rendent pas compte qu’ils sont pris entre les griffes des loups. Maintenant, tout comme au début de mon aventure, j’ai conscience de ce qui est en train de m’arriver. Mais, maintenant que le sable mouvant a progressé, je suis en train de suffoquer, me disant qu’il faut que je trouve un moyen de m’extirper de cette situation bien honteuse dans laquelle je suis tombé. Plusieurs me diront que c’est simple, que je n’ai qu’à ranger mon téléphone, mais, de nos jours, tout se déroule sur ces appareils. D’autant plus que, maintenant, cette addiction a changé la chimie de mon cerveau. Ce cerveau qui, de nos jours, me demande constamment une dose supplémentaire de dopamine. Une dose administrée via des vidéos de quelques secondes qui font chuter ma concentration sur le long terme, ne me permettant plus d’être concentré sur un cours de longue durée et faisant chuter mes notes. J’aurais pu me cultiver, apprendre la musique, lire, danser, chanter, réaliser mes rêves! Mais, au lieu de tout ça, j’ai regardé des vidéos de quelques secondes, en boucle. Des vidéos desquelles je ne me rappelle rien. Quand je termine de prendre cette dose quotidienne de dopamine, je me sens plus honteux que jamais puisque je sais que j’ai sacrifié une partie de ma vie, une partie de qui je suis, une partie de qui je pourrais être, au profit de grandes compagnies. Il y a longtemps, j’ai écrit sur un bout de papier : « Mes pensées sont importantes, elles sont qui je suis et forgeront qui je serai demain. » Mais, au lieu de les protéger, j’ai préféré les laisser se volatiliser. Je prends le temps d’admirer l’ironie de ce texte, écrit après avoir passé des heures à défiler les nombreuses vidéos sur mon téléphone. Un texte écrit dans la honte d’avoir conscience de mes actions, mais de les avoir faites quand même. Un texte qui aurait pu jamais ne voir le jour si j’avais écouté les pulsions qui me disaient de retomber dans cette addiction.
Selon les statistiques, nous écoulons, en moyenne, 10 ans de notre vie à perdre notre temps à défiler des vidéos inutiles sur notre téléphone. Faites l’exercice! Combien de temps quotidiennement pensez-vous passer les yeux rivés sur votre écran de téléphone? Combien d’années cela représente si vous continuez au même rythme pour les soixante prochaines années?
Julien Lapalme