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Malédiction

Du feu, c’est tout ce que je ressens sur ma chair à vif, des hurlements: c’est tout ce que j’entends à mes oreilles, dont des bouts de cartilage fondu dégoulinent sur mes épaules plaquées de rouge. Je tente une dernière fois d’apercevoir le ciel nuageux de Salem à travers la boucane du bûcher. Je tends la main vers le ciel, implorant les dieux de venir à mon secours. Mais rien n’y fit. Je me dis que ce supplice finira bientôt, que je quitterai ce monde. Dans dix secondes environ. J’entreprends un décompte pour que mes pensées se focalisent sur autre chose que la douleur qui me tétanise: 10, je tombe, n’ayant plus de pieds pour me retenir. 9, les flammes s’emparent de plus en plus de mon visage en décomposition. 8… ça y est, tout est fini.

Un hurlement s’échappe de ma gorge, mon corps entier se tord de douleurs. Je sens encore les flammes dévastatrices du bûcher sur ma joue. J’ouvre les yeux. Aucune flamme ne me brouille littéralement la vue, mais leur image est imprimée sur ma rétine. Mon esprit oscille entre la réalité et les visions déformées de mon subconscient. Les images s’estompent peu à peu tout comme la douleur qui me quitte à mon plus grand soulagement. Ça fait ça à chaque fois.
Je me relève en tremblant. Quand ces rêves implantés dans le creux de mon esprit cesseront-ils de me tourmenter? Je tenté de résister à mes yeux qui se ferment d’eux-mêmes tout en observant la pièce qui se dresse devant mes yeux: ma chambre. Six mètres carré, les murs tapissés d’une horrible peinture bleue écaillée que j’ai préféré cacher derrière une immense commode de faux bois noir. J’aimerais repeindre les murs de ma chambre en un orange doux, comme un coucher de soleil, mais mon père refuse catégoriquement: trop de troubles. Sur un bureau au plateau transparent en “L” se trouve un calendrier de fortune que j’ai fabriqué de mes propres mains.
Je fis fuir les couvertures bleues et grises qui me recouvraient et quittai mon petit enfer personnel. Je saisis un stylo au hasard, dans mon pot à crayons, et trace un “X” vert sur la case du 22 juillet du calendrier. Plus que 1 jour.
Je me dirige vers la salle de bien les jambes encore flageolantes. Au-dessus de mon bain à pattes se trouve un étrange miroir triangulaire. Je fixe mon reflet quelques secondes. Un garçon de 15 ans me répond. Ses cheveux étaient bruns, presque noirs, en bataille et de minces lunettes rectangulaires couvrent mes yeux vert clairs. Mais un trait m’est propre; une mer de cernes due à mon manque de sommeil constant.
Je m’approche du lavabo et passe de l’eau froide sur mon visage pour me réveiller complètement. J’enfile un hoodie gris clair, mon préféré, usé mais confortable et merveilleusement réconfortant. Mes rêves me hantent encore mais je les repoussent dans le fond de mon esprit, j’ai l’habitude. Je claque la porte le plus fort que je peux derrière moi pour signaler à mon père que je quitte le domicile même si les probabilités pour qu’il soit éveillé sont minces.
Je traverse le salon en désordre, franchis le seuil de la porte et voilà, je suis parti. Le soleil germe à peine à l’horizon, projetant ses rayons dorés sur les bungalows de la rue Louis-Berlinguet. À cette heure, les Varennois sont encore confortablement installés dans leur lit, voguant dans un sommeil doux et sans rêve. Chanceux.
Je tourne sur la rue du Buron, toujours pas un chat. Je coupe par le terrain de soccer, passe devant le Tigre Géant et m’engage sur la piste cyclable, vers le parc St-Charles. C’est là que je me réunis souvent avec Samuel et Lily-Maude, mes amis d’enfance. Mon père dit souvent que je n’ai pas des habitudes normales pour mon âge. Je suis forcé de reconnaître que ses propos sont fondés: je me lève aux petites heures du matin et mon point de rencontre avec mes amis n’est autre que la forêt.
Je suis à présent à destination, les arbres autour de moi forment un tunnel de verdure et le bruit de la garnotte sous mes pieds fait frétiller mes oreilles. Je croise un homme qui promène un beau grand chien noir et blanc, aux poils long. J’aimerais tant avoir un chien, mais le simple fait de ramasser ses crottes est inimaginable pour mon père. J’arrive devant une table à pique-nique de bois clair, ma table à pique-nique. Je m’assoie et attends Samuel, il serait déjà supposé être là mais peu importe. Je l’attends avec patience, laissant mes pensées vagabonder dans le silence de la forêt. Un léger froissement attire mon attention. Je lève la tête en scrutant les arbres environnants. Le vent fait danser les feuilles et les buissons. Mais ce n’est pas ça qui a causé le bruit. Mon cœur s’accélère un peu mais je me reprends, c’est sûrement juste Samuel qui vient d’arriver. Je scrute le paysage en espérant apercevoir une silhouette familière. Toujours rien. L’air devient lourd et la crainte me gagne. Le silence pèse de plus en plus comme si la forêt elle-même retenait son souffle. Je me dis que c’est sûrement juste la fatigue qui me joue un tour. Puis le bruissement reprend avec plus d’ardeur provenant de derrière moi. Je m’oblige à ne pas me retourner. Je ne vais pas laisser mon imagination guider mes actes.
Les bruissements se rapprochent de plus en plus, de plus en plus rapidement. Je tente un regard: c’est Samuel.
Bordel, tu m’as fait peur! lui lançai-je, en me retournant.
Il continua à marcher sans me répondre. Ses yeux bleus étaient fixés sur moi, comme s’ il ne me reconnaissait pas. Un frisson me parcourut. Maintenant que j’y pensais, quelque chose clochait dans sa démarche et son visage était pâle, sans expression.
Samuel ? Est-ce que ça va ?
Il ne me répondit toujours pas, mais le noir de ses pupilles se répandit peu à peu sur son globe oculaire, lui donnant un air démoniaque, ou plutôt, possédé…

Lisez la partie 2 si vous voulez connaître ce qui est arrivé à Samuel et sa sombre révélation…