Une des choses qui a le plus bouleversé notre manière de consommer ces dernières années, c’est l’explosion du commerce en ligne. Et c’est assez simple à comprendre. C’est plus rapide, plus simple, parfois moins cher, mais surtout, la publicité et le placement de produits dans les allées n’affectent pas vos choix d’achats. Les opinions des utilisateurs sur un produit technologique par exemple, sont juste à un clic. Cette méthode est si efficace qu’elle en paraît même magique, Mais quand on se penche sur le chemin que nos colis parcourent, on se rend compte très vite que c’est un peu comme découvrir ce qui se trouve dans les jujubes.
L’entrepôt
Votre colis vient de quelque part. Et c’est l’emplacement de ce quelque part qui détermine la rapidité de la livraison. Vous vous en doutez bien, avec la quantité de colis qu’Amazon doit gérer, leurs entrepôts sont gigantesques. Et on peut se dire que c’est une expérience incroyable que de travailler dans une immense artère du commerce, mais pas vraiment. En réalité, c’est même horrible. Pour comprendre cela, il faut se plonger dans le travail des pickers.
Les pickers sont les personnes qui se promènent dans les entrepôts pour ramasser tous les produits qui sont commandés afin de les envoyer vers les camions. Pour ces travailleurs, la charge de travail est de scanner un produit toutes les 12 secondes. Et ça, c’est quand ils sont débutants. Parce que le réel objectif, c’est neuf secondes. Évidemment, avec des objectifs comme ceux-ci, ils n’ont pas le temps de s’asseoir. Et même s’ils avaient le temps, ils ne le feraient pas pour la simple et bonne raison que tout est filmé.
Tout. Et le pire dans tout ça c’est que ce n’est même pas caché. Amazon le mentionne dans sa formation. Aussi, si les pickers n’ont pas le temps de s’asseoir, on peut bien s’imaginer que c’est aussi mal vu de boire de l’eau et aller aux toilettes. C’est ainsi que des anciens employés qui ont témoigné ont mentionné qu’ils urinaient dans des bouteilles pour que leurs performances (qui sont enregistrées) ne baissent pas.
D’ailleurs, même si un employé n’est plus sur les caméras, ce n’est pas grave, parce qu’ils ont tous un appareil qui leur permet de scanner les produits, mais aussi de faire connaître leur position et leur efficacité en permanence à leur employeur. Donc pour résumer, les employés ont toujours une caméra pointée sur eux, des traqueurs dans leur poche et sont soumis à des délais intenables même pour un athlète olympique. Et si par miracle ils y arrivent, leur quota est augmenté. Un vrai cauchemar.
Maintenant qu’on est au courant de ça, qu’est-ce que dit Amazon ? Parce que ce n’est pas très facile à défendre. Le CEO d’un des centres de distribution défend l’invasion dans la vie des employés en disant que c’est en premier lieu un outil qui permet de s’assurer que l’entrepôt fonctionne normalement (en parlant des caméras et du fait que tout est mesuré) et que seulement en deuxième lieu une manière de virer les gens qui ne travaillent pas. Et dit comme ça, c’est presque raisonnable, sauf que si on reprend ses mots, il ne dit pas « les employés qui ne travaillent pas », mais bien « les employés moins performants ». Et c’est normal qu’une compagnie voit ses employés comme des robots, mais c’est l’accumulation de tous les petits détails de l’environnement de travail qui fait clairement ressembler l’endroit à Black Mirror.
Comme vous pouvez vous imaginer, il est difficile de tenir le rythme plus d’une heure. Comme si ce n’était pas assez, dans l’entrepôt de New York (et bien d’autres), les employés les plus performants sont affichés en grand dans l’entrepôt, Alors pour ceux qui font de l’anxiété de performance ici au Collège, j’espère fort que vous ne travaillerez pas pour Amazon. La défense de la compagnie là-dessus c’est que c’est pour « motiver les employés ». Je ne suis pas CEO, mais je ne pense pas que c’est quelque chose qui motive réellement les troupes.
Ah oui, dernière chose, dans le contrat que les salariés d’Amazon signent, il y a une clause plus que discutable qui indique que la corporation peut changer leur fonction, leur lieu de travail et leurs avantages sociaux sans que les employés ne puissent rien faire. Et dans les lois sur le travail, il y a des passages sur le fait que les compagnies ne devraient pas se donner le pouvoir de virer un employé discrètement (si je suis affecté à un entrepôt à 200 kilomètres et que je perds tous mes avantages sociaux, je ne vais pas rester longtemps). Et les tribunaux devraient avoir leur mot à dire. Mais c’est la justice. Donc tout est long, fastidieux et cher. Ce n’est pas demain que la situation va s’améliorer.
Conditions de vie de l’entrepôt
Maintenant que vous avez compris ce qui se passe dans ces énormes bâtiments de transition, peut-être qu’il est intéressant d’en comprendre plus sur les réels impacts et conséquences que tout ça a eu, en plus de ce que dit Amazon et la suite des choses.
Premièrement, seulement dans l’entrepôt de New-York, il y a eu 9 morts depuis 2013 causées par diverses raisons. Un syndicat (voir les sources dans le bas de la page pour lire les revendications) parle d’ailleurs de pratiques « déshumanisantes et mortelles ».
On peut dire que c’est y aller un peu fort, mais quand on comprend la cause des 9 morts, un peu moins. Les deux premiers morts se sont retrouvés écrasés par un chariot élévateur. Le troisième s’est vu mourir sous les roues d’un camion dans le stationnement, le quatrième est mort d’une crise cardiaque parce qu’il a trop travaillé dans la nuit. Les deux dernières sont dues à un tapis roulant et l’autre par un chargeur de palettes. Où sont les deux restantes ? Elles sont à Baltimore après l’effondrement d’un entrepôt durant une tempête. Elles sont moins évitables que toutes les autres. Mais en ce qui concerne une crise cardiaque ? C’est moins normal. Ce qu’il faut comprendre de tout ça, c’est que les délais atroces d’Amazon mènent à des catastrophes comme celles-ci.
De plus, les solutions sont assez simples. Mettre des délais moins intenables pour que les conducteurs puissent être plus prudents et surtout, engager des personnes qui sont qualifiées et ont de l’expérience. C’est quand même une mauvaise idée d’avoir comme premier travail un conducteur de chariot à palette dans ce qui est souvent le plus grand entrepôt de la ville. Sauf qu’encore une fois, ce n’est pas la faute de ceux qui travaillent jour et nuit. C’est la faute de la manière dont Amazon traite ses employés.
Comme ils savent que les conditions de travail sont extrêmes, à chaque fois qu’une personne commence à atteindre ses objectifs, ils augmentent, ce qui crée toutes sortes de problèmes qui mènent au départ de cette personne où à son licenciement pour cause de ne pas atteindre les objectifs. Donc il y a un roulement permanent d’employés qui sont malgré eux plongés dans un milieu qui leur demande une adaptation qui leur retire de la performance. C’est un cercle vicieux.
On pourrait aussi parler des robots qui font un très bon travail jusqu’au moment où ils n’en font plus. Je ne suis pas une personne qui a peur de l’arrivée des robots. Ils sont essentiels et le seront encore plus dans le futur. Mais quand on apprend que 24 personnes se sont retrouvées à l’hôpital parce qu’un robot a fait une erreur, perçant ainsi une canne de capsaïcine (répulsif à ours, autrement dit, assez fort) qui a aspergé toutes les personnes se trouvant à proximité, on est en droit de se demander si les robots sont bien implantés dans ces entrepôts. Après, si on voit le bon côté des choses, on peut dire que plus les robots sont là, moins de personnes auront à vivre l’expérience de travail que procure Amazon. Sauf que dans les deux cas, les robots ne sont présents que dans 14% des centres de distribution aux États-Unis.
Malheureusement, ce que je raconte depuis le début de cet article, ce n’est qu’uniquement dans les entrepôts. Parce que pour que votre colis arrive, il doit se faire livrer. Et les conditions sont aussi mauvaises que dans les entrepôts. Parce que ce n’est pas pour être méchant ou parce qu’ils sont paresseux que parfois les livreurs ne font pas attention à vos colis.