Opinions

Les Orphelins de Duplessis

Il y a de ces histoires qui se racontent de génération en génération, qui marquent l’imaginaire collectif, et parfois même le coeur d’une nation. Il y a de ces récits que l’on écrit et qui restent oubliés, d’autres que l’on ressort et qui sont retrouvés. Il y a aussi de ces histoires que l’on refuse obstinément de partager, quelque soit les intérêts qui s’y cachent, aux aguets des moindres soupçons. Et si celle des Orphelins de Duplessis méritait sa propre voix?

 

Dans la Grande Noirceur du Québec des années 1950, religion catholique et conservatisme font loi. Les communautés religieuses sont en charge de tous les services publics accessibles par une majorité de la population québécoise. Éducation, soins de santé, groupes communautaires et vie privée n’avaient pour eux aucun secret. 

 

En ce début de décennie, le gouvernement de Maurice Duplessis, Premier Ministre du Québec, reçoit des plaintes consécutives de religieuses concernant un seul et même besoin: un manque de subventions dans les orphelinats. Duplessis, alors très proche des catholiques hauts placés de la société québécoise, eut une idée: ne faire qu’un des orphelinats et des hôpitaux psychiatriques. Ainsi, il ne serait plus contraint à subvenir aux besoins financiers des orphelinats dont la plus coûteuse dépense est celle qui engage les religieuses à faire la classe aux enfants. Certaines d’entre elles se sont révoltées et ont tant bien que mal essayé de mettre un frein aux idées perverses du gouvernement, sans succès. Après de brefs tests d’aptitudes donnés aux enfants par des médecins, ces derniers, pour la plupart d’entre eux, démontrent qu’ils étaient parfaitement sains d’esprit. Les examinateurs déclarent leur verdict solennel, le mensonge irréversible qui marqua le début du cauchemar: « tous malades mentaux ». En quelques mois, les enfants de tous âges des orphelinats québécois voient les établissements qui représentent leur seul maison se transformer en asiles psychiatriques et y accueillir des pensionnaires dont ils ne pouvaient comprendre les maux. Les soeurs, jusqu’alors enseignantes, surveillantes ou directrices des orphelinats, se voient pour la plupart converties du jour au lendemain en infirmières. Elles sont alors chargées de s’occuper des nouveaux patients malgré leurs compétences restreintes en matière de psychiatrie. Les orphelins voient leurs salles de classe se métamorphoser à tout jamais. Et il n’en demeure pas moins des esclaves de cette nouvelle vie, obligés de nourrir, laver ou surveiller les malades dont certains pouvaient se comporter de façon violente. 

 

Malheureusement, s’occuper des patients n’était pas le seul traumatisme de ces enfants, bien au contraire. Ils ont subit des sévices physiques, sexuels, psychologiques et atrocités sans nom. Ces dernières ont détruit la vie de biens des enfants pour toujours. Outre les religieux à la tête de l’établissement à la base, plusieurs surveillants avaient pour rôle de s’occuper des jeunes et donc de passer beaucoup de temps avec eux. Les différents témoignages confirment l’implication de ces adultes dans les différents sévices subis par les orphelins. La réputation des pensionnats catholiques et celle de la vie dans ces orphelinats sont ternies. Les agressions vécues constituent l’élément déclencheur de bien des traumatismes qui ont suivi et qui suivent encore les survivants de ces événements épouvantables.

 

Seulement, les Orphelins de Duplessis n’étaient pas soumis uniquement aux soins des malades psychiatriques, mais faisaient également l’objet de cobayes pour la médecine de l’époque. On souhaitait donc tester ces prototypes avant de les utiliser de façon officielle. La plupart d’entre elles sont interdites à l’heure actuelle. Plusieurs des prisonniers de cette horrible réalité ont subi des chocs électriques, et même la lobotomie. C’est une opération consistant à enlever une partie de la matière grise au niveau des tempes, car on pensait à l’époque que c’était l’ultime moyen de guérir les malades mentaux. Camisoles de force, ceintures aux lits et même cellules étaient à la portée de ceux qui résistaient ou essayaient de se défendre lorsque les coups étaient donnés. Certains médicaments très forts, comme le Largactil, le Nosilam ou encore le Gardénal étaient administrés comme punition et avaient tous pour effet de rendre les enfants complètement amorphes (« légumes »). Ces comprimés étaient à l’avantage des religieux et des surveillants qui obtenaient grâce à ces pilules une raison supplémentaire de les traiter « d’arriérés mentaux ». Certains des établissements ayant les réputations décrites comme « les pires », l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, aujourd’hui Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine à Montréal, était cité. Autour du début des années 2000, un terrain près de cet hôpital a été racheté par la SAQ et les travaux d’excavation ont démontré la présence de squelettes enterrés sans tombes. Ces derniers appartenaient pour la plupart à des enfants ou des adolescents, que l’on a associés rapidement avec le lourd passé de l’institution médicale actuelle. 

 

J’ai pu personnellement découvrir cette histoire marquante en lisant un roman de l’auteure canadienne Joanna Goodman intitulé The Home for Unwanted Girls (La fille de Maggie en français). L’œuvre en question a été classée première des listes des meilleurs vendeurs nationaux pendant plus de six mois après sa sortie en 2018. Le livre raconte l’histoire de Maggie Hughes, une jeune femme âgée de 15 ans qui voit sa vie changée suite à la découverte d’une grossesse imprévue. Dès sa naissance en 1950 près de Cowansville, la petite Elodie sera placée dans un orphelinat et suivra, comme ses congénères de l’institution, le destin tragique des Orphelins de Duplessis. Au fur et à mesure de l’évolution de cet événement, l’auteure fait vivre au lecteur autant l’histoire de la mère et de sa fille. On découvre les impacts de leur séparation sur leurs vies distinctes et de leur envie mutuelle de reprendre ce qui leur leur revient de droit. En plus d’aborder le sujet tragique qui a bouleversé les Québécois, on y trouve un cas de figures intéressantes qui illustre les inégalités sociales entre les Anglophones et Francophone du Québec à l’époque. Ceci est un autre sujet dont les conséquences se font encore présentes à l’heure actuelle dans plusieurs domaines, notamment le domaine sportif. 

 

Le roman met également en lumière le secret des dossiers de naissance de ces victimes, gardés par les communautés religieuses pendant des années. Le cas de la protagoniste du livre énoncé précédemment, était celui de bien des mères des Orphelins de Duplessis. Toutefois, certains des orphelins avaient grandi dans des situations familiales conventionnelles, où père et mère étaient présents et ont dû, suite à la perte d’un parent, être orientés vers les communautés religieuses pour s’occuper d’eux. Ces dossiers, tout comme les dossiers médicaux déclarant des faux diagnostics de débilité mentale, étaient également falsifiés afin d’effacer toute trace d’un parent pouvant réclamer à tout moment son enfant à l’orphelinat. Ce fait constitue un des avantages de la transformation des orphelinats dans l’intérêt de l’Église, car cela empêchait les parents ou tuteurs de venir adopter un enfant étant donné que les établissements n’étaient plus désignés pour ce faire. 

 

Et aujourd’hui, que sont-ils devenus?

 

On estime le nombre d’Orphelins de Duplessis à environ 300 000. Certains et certaines d’entre eux, maintenant âgés d’environ 60 ans, redoutent encore l’arrivée de leur agresseur avec terreur. Les traumatismes causés par ce destin tragique et inhumain ont eu pour cause de terroriser à jamais ces victimes, qui redoutent les lieux publics par peur de revoir leur agresseur ou de revivre les mêmes sévices subis. Plusieurs se sont suicidés et d’autres ont décidé de rester dans les hôpitaux même après la fin de ces horribles pratiques. Coupés du monde toute leur vie, ils n’avaient aucun repère dans la société et plusieurs ont préféré s’emmurer à jamais dans les murs de leur enfer, n’ayant pas pu évoluer normalement en tant qu’individus. Dans les années 1990, un recours collectif se forma dans le but de rendre justice aux 3000 survivants à l’époque, le Comité des Orphelins de Duplessis. L’écrivain et professeur Bruno Roy, ancien Orphelin de Duplessis, en devint le président et affirme « L’Église ne veut même pas reconnaître les faits ». Suite à une indemnisation du gouvernement à toutes les victimes le réclamant, l’Église obligea celles-ci à signer une quittance les obligeant à ne pas porter d’accusations criminelles contre elle.  Comme l’explique le psychiatre et président du Comité, Denis Lazure, une indemnisation par l’Église causerait, entre autres, de « priver les prêtres retraités de leurs rentes ». Tel que le dit clairement Daniel Jacoby, Protecteur du Citoyen pour le Québec, « Exiger des victimes qui reçoivent une indemnité de renoncer à d’éventuelles poursuites judiciaires est un véritable abus de droit ». 

 

Sans excuser l’impact irréversible et impardonnable des agissements du gouvernement de Maurice Duplessis et de tous les complices de ces crimes, le contexte de l’époque dans laquelle ceux-ci ont été réalisés était aussi propice à la réalisation du plan de ce gouvernement. Ce temps où l’Église faisait légion sur le Québec et où un enfant hors mariage était ouvertement pointé du doigt comme un « enfant du péché », non sans mentionner qu’un enfant sans parents, quelles qu’en soient les raisons, n’était même pas l’ombre de lui-même, a encouragé l’humiliation et la honte à faire ressentir à ces jeunes qui n’avaient pas mérité leur calvaire. 

 

Heureusement, la société a changé et les mêmes contextes de vie dans lesquels peuvent se retrouver un ou des enfant(s) sont aujourd’hui perçus avec recul, et l’aide nécessaire peut être beaucoup plus facilement apportée à eux qu’elle ne l’était il y a 60 ans. 

 

Pourtant, c’est seulement en 2018 que les Orphelins de Duplessis et tous les autres orphelins du Québec ayant été en institutions entre 1920 et 1970 ont pu avoir accès aux documents officiels présentant l’identité de leurs parents biologiques. On leur avait cachée ces documents pendant plus de 50 ans ! La loi 113, entrée en vigueur le 16 juin 2018 au Québec, « permettra d’ouvrir les archives pour tous les orphelins et les enfants adoptés et dont les parents biologiques sont décédés depuis plus d’un an. Pour les dossiers où les parents sont toujours en vie, le gouvernement impose un délai de carence d’un an. Une course contre la montre insoutenable et salvatrice pour d’autres », explique Gaëlle Nicolle, du journal Sputnik France. « Ils ne seraient plus que 400 [encore en vie] actuellement […] », explique Catherine Kovacs (Radio-Canada). Le gouvernement a donc refusé obstinément de rendre à ces gens ce qui leur appartient de droit en plus de repousser l’échéance après des années de questionnement et de recherches, comme pour s’assurer que ces victimes ne reverront jamais leur famille biologique. 

 

Il n’y a pas réellement de conclusion à faire sur ce sujet, car j’estime qu’il est loin d’être clos et qu’il mérite d’être traité à sa juste valeur. J’ouvrirai donc la discussion vers un autre sujet à partir de celui que j’ai abordé, en posant une seule question. Suite à tant d’innovation, d’un avancement global et évidemment considérable de la société dans laquelle nous vivons actuellement, quelle importance donnons-nous réellement aux aînés dans la société québécoise, et, particulièrement, des aînés victimes de tant de souffrances dans le passé ?

 

Sources:

 

Sites Internet (pages Web)

https://fr.sputniknews.com/international/201806151036820027-orphelins-duplessis-archives/ 

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Orphelins_de_Duplessis 

http://www.leslabelle.com/Cimetieres/AfficherCim.asp?CID=849 

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1085462/orphelins-de-duplessis-poursuite-soeurs-clercs-grise-pasteur 

 

Images: 

https://monitortelegram.com/duplessis-orphans-victims-abuse-quebec-suing-catholic-church-quebec-government/

https://sputniknews.com/world/201512151031794624-duplessis-orphans-canada-quebec-catholic-church/

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/768223/maurice-duplessis-essai-trois-rivieres-martin-lemay-quebec-amerique 

http://archivesdemontreal.com/2014/03/28/hopital-louis-hippolyte-lafontaine/r3510-2_7401_-1975-001/

https://www.google.ca/url?sa=i&url=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2FComit%25C3%25A9-des-Orphelins-et-Orphelines-de-Duplessis-Victimes-dAbus-CODVA-174214556000912%2Fevents%2F&psig=AOvVaw2-7tK3GYqlzCUXRQNSql_E&ust=1587788404427000&source=images&cd=vfe&ved=0CA0QjhxqFwoTCLDI8PKagOkCFQAAAAAdAAAAABAD

 

Vidéos/documentaires/reportages:

https://youtu.be/-PdyWqh0NPU 

https://youtu.be/9WCKpKRsb_A 

https://youtu.be/WxIoc_OXwTw 

 

Intéressé(e)? Voici quelques liens qui pourraient vous aider à approfondir vos recherches sur ce sujet qui mérite d’être abordé:

 

Le Comité des Orphelins de Duplessis

Site Web officiel: http://www.orphelinsdeduplessis.com/c-o-d-v/ 

Facebook: https://fr-ca.facebook.com/Comit%C3%A9-des-Orphelins-et-Orphelines-de-Duplessis-Victimes-dAbus-CODVA-174214556000912/ 

 

Mini-série Les Orphelins de Duplessis de 1977, diffusée par la chaîne télévisée québécoise ARTV:

 

Premier épisode disponible gratuitement: https://youtu.be/x5NSumfBIzY 

Description sur le site IMDB : https://www.imdb.com/title/tt0220893/ 

 

The Home for Unwanted Girls de Joanna Goodman:

 

Site officiel de l’auteure: http://www.joannagoodman.com/ 

Facebook: https://m.facebook.com/JoannaGoodmanAuthor/ 

Instagram: https://www.instagram.com/jogoodmanauthor/ 

 

Acheter le livre en version originale anglaise…

 

Amazon: https://www.amazon.com/Home-Unwanted-Girls-heart-wrenching-mother-daughter-ebook/dp/B07257Z7QZ 

 

Archambault: https://www.archambault.ca/livres/home-for-unwanted-girls-the/goodman-joanna/9780062684226/?id=2366897&cat= 

 

Renaud-Bray: https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=2366897&def=Home+for+Unwanted+Girls(The)%2cGOODMAN%2c+JOANNA%2c9780062684226 

 

Acheter le livre dans sa version traduite en français…

 

Amazon: https:www.amazon.ca/fille-Maggie-Joanna-Goodman/dp/2897584718/ref=sr_1_1?keywords=La+fille+de+Maggie&qid=1587500041&sr=8-1 

 

Archambault: https://www.archambault.ca/livres/fille-de-maggie-la/joanna-goodman/9782897584719/?id=2496569&cat=1884314 

 

Renaud-Bray: https://www.renaud-bray.com/Livres_Produit.aspx?id=2496569&def=Fille+de+Maggie(La)%2cGOODMAN%2c+JOANNA%2c9782897584719